LE CHATEAU-FORT ECOSSAIS DE CHERVEUX

par Denis Roussel

 

Gravure du chteau

A une dizaine de kilomètres d’Echiré, dans le bourg de Cherveux, entre Gâtine et plaine de Niort, le promeneur curieux et avisé découvre un magnifique château fort du XVème siècle(1), œuvre ex-nihilo d’un écossais mercenaire : Robert Cunningham(ou Conygham), issu d’une famille d’ancienne noblesse du royaume d’Ecosse(2), qui réussit à intégrer les élites militaires, à la fin du Moyen-âge. Arrivé en France entre 1436 et 1440(3), via La Rochelle, il servit dans l’une des compagnies des gens d’armes(3) conduites au secours du Dauphin, par le Comte John Stuart de Buchan(4)à la fin de la « guerre de cent ans »(5), puis comme capitaine de la garde du corps de Louis XI(5) dès 1445. En vertu de la « Auld alliance »(6), à la tête de 40 lances, il participa à plusieurs campagnes militaires contre les anglais, dont la reconquête de la Normandie en 1450 (bataille de Formigny et siège de Bayeux), avec Arthur de Richemont, seigneur de Parthenay et Bayonne en 1452.


Mêlé à une conspiration contre Charles VII, en 1455, il fut condamné au bannissement jusqu’en 1461. Il fut alors réhabilité par Louis XI(7), qui le rétablira dans ses charges à la tête de « 50 lances fournies », après intervention du roi Jacques (James) III d’Ecosse. En 1462, il participa à l’expédition de Catalogne (siège de Tarragone), puis alla secourir les Liégeois révoltés en 1467. En 1469, il est nommé capitaine et commande 100 hommes d’armes et 200 archers de l’ordonnance.


Il acquiert la seigneurie de Cherveux, qui appartenait à Guion de Puygirault, entre 1464 et 1470, date à laquelle il se dit « Seigneur de Cherveux ». Ses faits d’armes et la générosité du roi(8) , à qui il aurait sauvé la vie, lui permirent d’acquérir une fortune nobiliaire et d’y faire construire le château vers 1470. Ecuyer, il deviendra conseiller puis chambellan du roi : « high steward, factor, treasurer ». Il meurt en 1479, sous les yeux du roi, au siège de Liège.

Du clan Cunningham à la famille des Saint Gelais-Lusignan

Clan Cunningham


Le château revient alors successivement à ses deux fils. Joachim, 1er « Lord of Roche », puis « lord de Cherveux », fut homme d’armes dès 1469, dans la compagnie de son père et capitaine de la grande ordonnance, en 1475-76. En 1484, il appartient à la compagnie des écossais et participe aux bans du Poitou, de 1488 à 1491. Chambellan de Louis XI puis de Charles VIII, il meurt en 1495. Jacques devient alors écuyer, seigneur du château et de la châtellenie de Cherveux, capitaine du château de Niort et maître d’hôtel du roi. Avec lui s’éteint la branche directe des Coningham, à Cherveux. Ils appartenaient tous deux aux compagnies d’écossais au service de la France.

Sculpture


Pendant les guerres de religion, qui le ruinèrent, Cherveux fut transmis par mariage, en 1519, à René de Puyguion, époux de Marthe de Coningham, puis à la famille Saint-Gelais en 1548. En 1551, la châtellenie appartient à Charles V de Lusignan-Saint Gelais. Son fils, Louis de Saint Gelais- Lusignan, amiral de la flotte protestante en devient le propriétaire en 1559. Il s’empare de Niort et fait de Cherveux, pris trois fois par les catholiques (en 1569 où le comte de Lude passa toute la garnison au fil de l’épée, puis en 1574, par le duc de Monpensier enfin, le 15 décembre 1586 où elle subit les assauts de M. Malicorne, gouverneur en Poitou), un haut lieu de la réforme en Poitou. Il fut nommé Lieutenant-Général du Poitou et en fit une redoutable place-forte. A sa mort, en 1592, son fils Josué devint seigneur de Cherveux et fit don à l’Eglise réformée d’un jardin pour y édifier un temple en 1620.


Après ces épreuves, le propriétaire, Charles de Saint-Gelais, se convertit au catholicisme et fit interdire le culte protestant à Cherveux. La châtellenie de Cherveux se transmettra dans la famille de Saint Gelais pendant 130 ans (4 générations), jusqu’en 1710. En 1674, Jeanne-Marie de Fradet épouse Jacques Duplessis-Châtillon, marquis de Nonant et devient « Dame de Cherveux ». En 1742, le château est transmis à son fils Louis Duplessis-Châtillon, marquis de Nonant et de Saint Gelais, remarié avec Catherine-Pauline Colbert de Torcy, petite nièce du ministre Colbert. De ce mariage naquit Marie-Félicité Duplessis-Châtillon, dernière marquise propriétaire du château, avant la Révolution, devenue en seconde noce l’épouse du comte de Narbonne-Pelet, Dame de Cherveux. Elle sera guillotinée à Paris, le 27 juillet 1794.

Dtail


Le château délaissé sera ensuite saccagé et les archives brûlées avant d’être vendu comme bien national et siège d’une exploitation agricole à la Révolution (le 12 frimaire-An III) au sieur Pierre Alloneau et transformé en ferme. Celui-ci fit démolir deux tours en 1886, puis les étages du Donjon, ainsi que les remparts de la Haute-cour. Ses descendants, Les Clouzot Maynier le conservèrent jusqu’en 1931 et le vendirent à Lucien Redien dont le père et lui-même étaient fermiers depuis 1912. Il fut classé Monument historique le 16 septembre 1929(9) et restauré grâce aux soins des Monuments historiques, de 1932 à 1947.


Une redoutable place forte huguenote devenue un édifice majeur de la région


Restructuré d’un seul jet par les Cunningham, entre 1470 et 1478 et peu remanié par la suite (jusqu’au XVIIème) il représente un ensemble homogène encore bien préservé, partagé entre un secteur résidentiel sur cinq étages et un autre plutôt défensif. Il se signale par des tours élancées (dont l’une comporte deux étages de cachots) et par une enceinte défendue par des archères canonnières, des chemins de ronde crénelés sur machicoulis et un donjon-porte (ou porche) élancé (le seul du département) à angles saillants (des redans) et rentrants, qui lui confère son originalité. On y trouve une lucarne à meneaux richement décorée d’un arc en accolade orné du blason du clan Cunningham, ainsi que de nombreux blasons sculptés apparentés au Cunningham et au royaume d’Ecosse, de 1470 à 1519.

Les combles


Dans les fossés coule la seule source du village alimentant l’abreuvoir collectif ne tarissant pas l’été. Ce château militaire à « une allure altière, quelque peu fantastique, décrit dans les romans de chevalerie, élément essentiel de la culture de la noblesse »(10).


Dominique Peyre, conservateur des Monuments historiques, écrit : « Entouré de douves en eau, il présente un plan s’inscrivant dans un pentagone irrégulier dont les angles sont marqués par des tours et un châtelet d’entrée auquel on accédait par un pont-levis devenu pont-dormant. A l’est, deux tours et le donjon encadrent des corps de logis, l’ensemble étant couvert de hautes toitures en ardoise. Le donjon, chef-d’œuvre du genre, autrefois donjon-porche, offre un plan complexe en étoile avec un chemin de ronde sur mâchicoulis, avec une série de cul-de lampe sculptés, des figures et des éléments décoratifs d’une très grande qualité.

Salle de rception


On découvre à l’intérieur, sur six niveaux, des salles ornées de cheminées monumentales. Les logis possèdent de grandes salles avec cheminée. Dans celle sous les combles on découvre un remarquable travail de charpente. Le château est un édifice majeur de la région, en particulier par l’architecture exceptionnelle de son donjon ».


Depuis le 24 novembre 2017, le drapeau écossais flotte fièrement sur ce château fantastique


François Redien, l’actuel co-propriétaire, habite toujours le château qui accueille des Cunningham du monde entier, à l’occasion de cérémonies traditionnelles. Le 24 novembre 2017, Frank Strang, directeur des relations européennes au sein du gouvernement écossais, a été invité à hisser le drapeau écossais en présence du sénateur Jean Marie Morisset, de la députée Delphine Batho, de son suppléant Jean Luc Drapeau, de Gilbert Favreau, président du conseil départemental, de Marie Pierre Missioux, maire de Cherveux (qui a exprimé le souhait de jumeler sa commune à une ville écossaise), de Jim Hutchison, président de l’«Association des amis du château de Cherveux » et de son secrétaire, le général Bernard Molard, actuel président de section départementale de l’Ordre de la Légion d’honneur et d’une centaine d’écoliers. Le piper G. Anderson a fait résonner l’hymne écossais : «Flowers of Scotland » avant d’accompagner la championne de danse écossaise : Fanny Aubret.

Armoirie


Hormis un mémoire de maîtrise d’histoire de l’art (10) et quelques articles spécialisés (11), aucun livre n’a jamais été écrit sur ce château-fort encore méconnu, chargé d’histoire…qui est à vendre.

Aujourd’hui, l’association des châtelains d’Echiré, de Cherveux et de Saint Gelais,s’opposent au projet d’implantation de six grandes éoliennes (elles feraient cinq fois la hauteur du château) à proximité des monuments historiques locaux. Ce combat d’un nouveau genre pourrait représenter un nouvel épisode hugolien de la « Légende des siècles ».

Notes :


(1) Dès1306, Il est fait mention d’un château primitif (motte féodale) relevant de l’abbaye de Saint Maixent, que Hughes X de Lusignan transforme en forteresse (dont il ne reste aucune trace et qui aurait été remplacée par une autre construction castrale). Saint Louis en fait une châtellenie tenue en vassalité par son frère le comte Alphonse de Poitiers, en 1242, avant de la restituer aux Lusignan en 1248. Ph. Le Bel la leur confisquera à nouveau en 1309. Cette forteresse des Lusignan (qui se donnait pour ancêtre la fée Mélusine ou « Mère Lusine ») passa aux Mello en 1303, puis aux Craon et aux Chalons. Saisi par les anglais en 1363 (sous le règne d’Edouard III) il est donné à Guillaume de Felton, sénéchal du Poitou. Après la victoire de Bertrand Du Guesclin en 1369 et la reconquête française du Poitou en 1372, il est confié par Du Guesclin à Amaury de Craon. Guy de la Tremoille (chambellan, 1er ministre et gouverneur du royaume de Charles VII) lui succède.Conséquence des conflits anglo-français, il est en état de ruines et est démoli vers 1440. Louis de la Tremoille le vend en 1457 à Amaury d’Estissac(sénéchal de Saintonge et seigneur de Coulonges- les-royaux), qui le cède à Jean de Naydes, qui a son tour le vend à la famille Chenin (leur fille Louise épouse Robert Cunningham en mai 1440).
(2) « Robert de Cuningham » Ed. Dumont – Paris 1841- Chapitre. II (BNF, Paris).
(3) Environ 16.000 écossais ont débarqué à La Rochelle (dont 6.000 hommes embarqués sur 40 navires castillons aroganais, en octobre 1419) entre 1418 et 1450. Ils participèrent à la bataille victorieuse de Baugé le 22 mars 1421 qui a marqué le premier arrêt de l'offensive anglaise (un dénommé Robert Cunningham y aurait été blessé et secouru par un ermite), puis à celle de Verneuil, de Cravant en Bourgogne et devant Orléans à la bataille dite " des harengs ", le 31 juillet 1423.
(4) 3èmeComte de Buchan: Nommé connétable de France en 1424 et 1er commandant des « Scots guards » ( corps militaire d’élite créé par Charles VII, le " roi de Bourges " pour constituer la garde personnelle du roi) il est tué la même année à la bataille de Verneuil-sur-Avre, le 17 août 1424, qui marqua la fin des victoires écossaises.
(5) 80 hommes d’armes et 80 archers. Les gens d’armes écossais ont été officialisés en 1410. En 1445, Charles VII institua quinze compagnies d’ordonnance (cavalerie) qui deviendront pour la première de l’histoire de France, avec les francs-archers (infanterie), une armée royale permanente. Elles étaient commandées par un capitaine recruté parmi les nobles de naissance légitime (comme Jean d'Aubigny) dont des écossais (Robert Pettylow, Joln Darnley, Archibald Douglas (comte de Wigtown), qui deviendra lieutenant général des armées royales, duc de Touraine et maréchal de France et Robert Cunningham) ainsi que des espagnols (Enrique de Castille et Jean de Salazar).
(6) Un traité d’alliance défensive a été signé entre la France, la Norvège et l’Ecosse, contre l’Angleterre, en 1165. La « Vieille alliance », qui a marqué les relations franco-écossaises, a été renouvelée entre les royaumes de France et d’Ecosse du 23 octobre 1295 (Ph. Le Bel) à avril 1904 (Accords de « l’Entente cordiale » entre la France et le Royaume-Uni).
(7) louis XI fut marié à Marguerite d’Ecosse de 1436 à 1445.
(8) les Coningham gravitaient dans l’orbite de la monarchie des Valois. Ils avaient un train de vie comparable à celui des seigneurs de haut rang.
(9) En 1892, le département voulait le classer mais les propriétaires refusèrent. Le château fut classé une première fois le 31 mars 1915, puis déclassé le 14 février 1916.
(10) In « Le château de Cherveux » : Mémoire d’histoire de l’art, soutenu en octobre 1990, à lafaculté des sciences humaines de Poitiers, par Caroline Teillet, actuelle conservatrice du château de Saint-Mesmin (79)
 (11) dont celui de Nicolas Fauchère, professeur de castellologie à l’université de La Rochelle in : « Congrès archéologique de France » – Niort - Deux-Sèvres – 2001 et www.clancunningham.us

 

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